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Rivista di etica e scienze sociali / Journal of Ethics & Social Sciences

10 szaniszlo 1 1

INOCENT-MÁRIA V. SZANISZLÓ

1. Introduction au problème

10 szaniszlo 1 Dans le cadre de notre colloque exclusif à l ́Université pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome nous sommes consacré à l ́étude du théologien africain fr. Éloi Messi Metogo OP. Dans une des sesoeuvres principales Dieu peut-Il pdfmourir en Afrique?1, Frère Metogo essaie de décrire la situation religieuse en Afrique du point de vue de la sécularisation et de la sécularité, analysant même le sécularisme moderne. C ́est pourquoi nous voulons dans notre contribution jeter un œil sur la signification de ces termes dans le monde moderne.

Le sécularisme est défini comme étant une forme extrême de sécularisation, dans laquelle l’homme réclame une indépendance et une autonomie totales par rapport à Dieu, pour luiême et pour « son » monde, ou nie carrément l’existence de Dieu pour étayer sa propre indépendance. Il n’est pas facile de mettre l’athéisme sur le même pied. Il s’agit plutôt de la non-admission d’un autre monde. Les tenants de cette position ne reconnaîtront pas que la foi (ou la religion ou l’Église) ait voix au chapitre pour ce qui est des questions fondamentales de la vie. L’autonomie est plutôt demandée pour les domaines de l’éthique, de l’économie, de la culture et de la politique, dans lesquelles la foi ou la religion est de ce fait rejetée dans le domaine du monde extérieur. C’est ainsi que des théologiens comme Karl-Heinz Peschke ou Albert Josef Beneš la définissent classiquement.

En revanche, la sécularisation est une notion qui a son fondement dans la Bible et donc aussi dans la pensée chrétienne. Le mot saeculum est l’un des deux mots latins qui désignent le monde : le mot saeculum se réfère au temps historique (l’æon grec), tandis que mundus, le second mot, désigne le monde spatial (le cosmos grec). Pour les Grecs, il s’agit de l’espace et du lieu, mais pour les Hébreux, le monde est une histoire qui a son origine en Dieu.2

Bien que l’Église se voie souvent en dehors de ce monde, de sorte qu’elle est parfois accusée d’être une façon de fuir le monde, l’importance de la « mondanité » est également soulignée dans la terminologie chrétienne, donc l’importance du monde et du service pour le monde. Même en théologie, leur autonomie et leur indépendance sont reconnues, à savoir le fait de s’engager dans le monde, en tant que devoir de tout chrétien. Ils est dès lors compréhensible qu’une tension soit créée-. À l’origine, le mot sécularisation a aussi signifié l’expropriation des biens de l’Église. C’est à cela qu’est liée la notion de désacralisation, c’est-à-dire la séparation entre le séculier et la sphère de l’Église (la famille, le mariage, etc.).

Si nous voulons classer les questions ci-dessus sur le sécularisme et la sécularisation, nous trouvons ces problèmes dans la théorie classique de la théologie morale spéciale, qui a été structurée selon les dix commandements et qui, dans le cadre du premier commandement, traite de : « Je suis ton Dieu, tu n’auras point d’autre dieu que moi » (Deut. 5, 6-7 ; Ex 20,2-3). Avoir d’autres dieux, cela s’appelle : de la superstition, de l’infidélité. Il faut également citer l’idolâtrie, en tant que pratique religieuse perverse de satanisme, ainsi que la recherche du pouvoir. L’homme est donc incité à suivre le vrai Dieu, malgré son autonomie. L’incarnation de Dieu elle-même est soumise aux mêmes normes éthiques que chaque action morale d’un être humain et elle influe sur les autres. L’être humain a le droit et le devoir d’utiliser l’autonomie pour une bonne cause. L’intention est importante ici.3 En fin de compte, nous avons eu à le faire dans l’Empire romain avec la démythologisation du monde par le christianisme. Enfin, les dieux avaient autrefois une fonction, celle de réaliser l’unité entre l’homme et la nature, et les deux étaient une partie de la nature.4 Le cosmos grec a été déifié mais, dans la compréhension hébraïque, l’espace est une création de Dieu.5

 

2. L’autonomie relative comme signe de l’évaluation correcte de la réalité laïque

Comment peut-on résoudre la tension entre, d’un côté, l’impératif de Dieu dans le premier commandement et, d’un autre côté, l’autonomie humaine comme signe du don créatif et de la confiance de Dieu vis-à-vis des hommes ? Considérons d’abord la nature de cette tension. Quand on parle de sécularisation, on se déplace dans la zone de tension entre :

• Dieu et le monde,
• ce bas monde et l’au-delà.
• la science et la foi,
• la dévotion à Dieu et le service au monde,
• la science et l’État.

Nous pourrions ajouter les domaines de la culture (art religieux), ou de l’esthétique.

La désacralisation et la sécularisation sontelles donc liées au développement de la science? C’est Hannah Arendt qui a le mieux décrit ce processus dans son œuvre La vie active.6 Tout dépend de savoir si l’autonomie revendiquée appartient vraiment à ce domaine profane, ou si l’homme n’est autorisé à l’autonomie que par la sécularisation - ou justement non. Il y a des valeurs dans ses propres droits, donc il vaut mieux que l’homme s’efforce de trouver son plein épanouissement d’une façon créative. Le monde séculier suit ses propres règles, qui ne sont pas soumises aux normes de la foi et de la religion, pourtant c’est la raison pour laquelle le fait que l’homme n’a pas la responsabilité d’utiliser la réalité mondaine en conformité avec le plan de son Créateur n’est pas encore de mise. Le monde séculier et l’homme séculier ne se sont pas non plus créés eux-mêmes, mais leur existence dépend de la volonté d’un être supérieur. Ceci est désigné sous le terme d’«autonomie relative ».7

L’autonomie relative signifie que les réalités de ce monde ont une certaine indépendance et suivent leurs propres lois, mais qu’elles ont leur source en Dieu. Avec le processus de sécularisation de Dieu - Dieu s’est lui-même incarné dans le Christ ici-bas -, l’homme est libéré de la supériorité des « éléments de ce monde » (Col 2,8.20; Gal 4,3 et 1 Cor 8,4). Il s’agit ici des fondements d’un humanisme compris en bon chrétien.8 Il est important de souligner ceci: uand l’homme trouve Dieu, il est tenté de l’utiliser à ses propres fins.9 Après Gibellini, aussi bien Marie-Dominique Chenu que Karl Rahner soulignent qu’un conservatisme plus fermé et plus strict tente de classer le monde sous la direction de l’Église et fait ainsi de l’Église le seul vrai leader du monde. Cependant l’Église n’a pas vocation à diriger le monde de manière conservatrice ; ne seraitce que parce qu’elle est incapable de connaître les solutions à tous les problèmes concrets du monde! Et c’est exactement pour cela que nous devons respecter une certaine autonomie de ses attributions distinctes par rapport au monde.10 Nous ne pouvons pas comprendre le monde comme si nous avions une « ligne directe » avec Dieu - par exemple dans le but d’expliquer les désastres du monde comme étant une punition de Dieu! De plus, Rahner explique que la sécularisation ne signifie pas la laïcisation des valeurs religieuses mais - sur le terrain de la foi – la reconnaissance de l’indépendance et de l’utilité du monde.11

Il s’agit donc de l’évaluation correcte des réalités profanes: Elles gardent leur autonomie et leur laïcité véritables, c’est-à-dire leur caractère, leurs propres objectifs, leurs lois, leurs méthodes et leur importance particulière pour le bonheur des hommes. Mais seul l’homme centré sur Dieu est capable d’agir objectivement, c’est-à-dire de traiter les choses profanes de manière objective, néanmoins conformément à leur autonomie ainsi qu’aux lois morales.

La tâche de l’Église est de pénétrer le monde à l’aide de l’esprit de l’Évangile, sans être divisée en ses propres structures.12 Marianno Fazio parle même de décléricalisation du monde. Il l’estime donc nécessaire, car un mauvais cléricalisme a pour résultat la suppression de la distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, entre le pouvoir spirituel et le pouvoir politique.13 En particulier, la doctrine de la création (le pilier du christianisme) est la base pour une bonne compréhension de la sécularisation. Dieu a donné à l’homme la possibilité de découvrir la structure de la réalité. Cela permet d’accéder aux réalités les plus profondes de la vie par la foi. L’harmonie entre la foi et la raison conduit à la reconnaissance de l’autonomie relative des réalités terrestres. Dans beaucoup de religions, il y a un scepticisme quant à la capacité de l’être humain. Le fondamentalisme empêche la sécularisation en utilisant la totalité religieuse, qui viole les droits humains fondamentaux.14

Un autre auteur, qui traite du sécularisme en raison de sa relation tumultueuse avec l’Eglise, est Gianni Vattimo (né en 1936). Dans son livre Credere di credere, il a justifié son retour au christianisme par la défaite historique de la raison : en effet, elle s’est révélée incapable de résoudre les problèmes importants de l’existence humaine. Mais la crise philosophique des Lumières et de l’historicisme a motivé son retour au christianisme.15 Pour Vattimo, la sécularisation et le sécularisme (même sans délimitation mutuelle) se distinguent dans ce contexte comme expérience religieuse authentique : « La sécularisation en tant que partie constructive de l’expérience religieuse signifie simplement la relation originale qui émane du noyau sacré, dont nous nous sommes éloignés, mais qui reste encore actif sous sa forme décadente. »16 C’est justement l’effondrement de la rationalité autonome qui a causé le retour individuel mais aussi de masse à la religion.17 Vattimo voit la sécularisation comme étant un moment positif de l’enseignement de Jésus et une réalité intérieure du christianisme. PRADEEPA SIVASANTHIRAN Comme un Jésus abandonné sur la croix, l’homme moderne ressent l’éloignement de Dieu, ou il s’éloigne parfois lui-même de Dieu. Il y a donc aussi ce processus dans le domaine confessionnel. L’homme séparé de Dieu va absolutiser et idéaliser la réalité laïque - c’est-à-dire la sacraliser d’une manière inappropriée. Par conséquent, une bonne relation avec Dieu est cruciale pour la relation avec le monde.18

Le cardinal de Prague Dominik Duka définit la sécularisation comme étant la vocation autonome de réalités séculières, ce qui signifie que seule une laïcité (dans le sens de la mondanité) bien comprise a sa place dans le christianisme.19 Et il suppose que, dans le mystère de l’incarnation, la sécularisation prend tout son sens et trouve son propre objectif. La sécularisation défend la réalité terrestre. Si elle est détruite, d’autres courants apparaissent et s’y substituent, supprimant complètement l’autonomie laïque.

Fréderic Gogarten parle de la sécularisation comme étant une conséquence légitime de l’influence de la foi biblique sur l’histoire.20 L’homme, compris comme étant un enfant de Dieu, est libre du monde, mais en même temps responsable du monde. La foi chrétienne sécularise le monde et fait confiance à l’autonomie et à la responsabilité de l’homme. Une société qui n’est pas passée par un processus de sécularisation se caractérise par une relation étroite entre la politique et la religion (Mt 22:21).21

Il s’agit aussi d’un phénomène chrétien, à savoir qui se développe dans le cadre de la foi chrétienne.22 L’espoir pour le monde moderne est que l’homme autonome ne perde pas sa connexion à Dieu et que la sécularisation (ou, comme l’appelle Gogarten : la dé-divinisation ; Košč la compare à l’aggiornamento et la considère comme un moyen pour la nouvelle évangélisation et l’apostolat23) ne dégénère pas en sécularisme.24

Lors de sa rencontre avec des laïcs engagés dans l’Église, Benoît XVI a expliqué la sécularisation comme étant un appel positif aux chrétiens : Elle influe sur une « libération significative de l’Église par rapport aux formes laïques ». Donc l’Église est appelée à « être dans le monde, mais pas du monde, et à être ouverte au dialogue avec le monde »25.

Pour le philosophe suisse Rhonheimer, qui plaide pour une sécularité chrétienne, il est important de lutter pour un idéal chrétien de citoyenneté démocratique et laïque. Il voit une double identité du citoyen: en tant que chrétien et citoyen pour une coexistence tolérante avec les autres religions et même avec les non-croyants dans une société démocratique moderne. Dans la perspective du royaume de Dieu, être sécularisé signifie être aussi réalisable que possible. Le royaume de Dieu se réalise dans le sens où il s’inscrit dans ce monde et où il surmonte le mal en lui. La sécularité chrétienne est caractérisée par le pluralisme, le respect des droits de l’homme, de la liberté et de la culture politique, mais pas par le multiculturalisme.26

De cette façon, la « laïcité » (la mondanité) est reconnue, à savoir l’autonomie et l’indépendance du monde et l’importance du service pour le monde, mais en même temps elle souligne aussi le devoir de tout chrétien de s’engager dans le monde. Le Concile Vatican II partage la compréhension de l’autonomie relative des réalités terrestres, mais il rejette une compréhension de l’autonomie qui conduit à une pseudo-sacralisation de certains domaines de la vie (comme cela arrive par ex. dans le nationalisme, dans le totalitarisme d’État ou de classe ou dans l’individualisme).27

Gibellini souligne l’effet positif de la sécularisation en tant que processus de formation de la société moderne par des idées chrétiennes. Il se réfère à l’aspect de continuité. En outre, il utilise le terme de désacralisation, dont il distingue une forme relative et une forme radicale. Il souligne que l’on trouve déjà une désacralisation relative dans la création, dans la mesure où le Créateur diffère sensiblement de sa création. De cette façon, la révélation biblique rejette les théories panthéistes, monistes et animistes. Par sa lutte contre les dieux, le christianisme a sécularisé le monde et s’est libéré d’une fausse acralisation.28

Le problème important se pose alors de savoir si, par la reconnaissance de la souveraineté de Dieu, l’autonomie et l’indépendance n’ont finalement pas été refusées aux domaines terrestres (tels que les sciences, la vie sociale, l’économie). Le croyant est-il capable d’avoir une relation objective, factuelle au monde, ou son attachement à Dieu l’a-t-il rendu complètement étranger aux choses de ce monde ? La question est donc de savoir si la relation à Dieu dans la foi et dans le culte affecte la vie de celui qui est ainsi concentré sur Dieu et en quel sens (par ex. si cette relation apporte un élément étrange, inquiétant dans ce bas monde). Peschke a précisé à cet égard que, depuis le début de l’ère moderne, l’Église a longtemps été réticente à reconnaître la voie des sciences naturelles ; on pense à « l’affaire Galilée » ou à la théorie de l’évolution de Darwin. Elle voulait même placer les sciences naturelles sous les « normes de la foi », issues d’une compréhension erronée, selon laquelle les livres des Écritures seraient également normatifs pour les sciences profanes. Mais en fait, les Écritures ne sont normatives que pour le domaine des vérités religieuses. Souvent, les chrétiens ne se sont même préoccupés que de la rédemption personnelle et non de la conception du monde. En revanche, le monde profane s’est souvent détourné de la foi en Dieu ainsi que de la religion, parce que celles-ci ne sont pas utiles à la science, au progrès et à la construction d’un monde meilleur,
voire - comme certains le pensaient – parce qu’elles leur sont même nuisibles.29 D’autres encore étaient d’avis que, si le Christ vit dans une communauté de grâce - c’est-à-dire dans l’Église -, la question se pose alors de savoir s’il peut vraiment évoluer dans les institutions terrestres et mondaines, c’est-à-dire s’il peut préserver le caractère mondain de celles-ci, ou si, quand il réalise quelque chose dans le domaine profane, il ne fonctionne pas d’une certaine manière contre sa propre nature.30 Günthör considère une telle désacralisation et une telle sécularisation comme non objective, car les domaines profanes et l’homme qui fonctionne en ceux-ci sont isolés de toute relation avec les réalités surnaturelles transcendantes. Elles ne sont justifiées que si elles encouragent l’homme à apprécier convenablement la laïcité, qui appartient aux choses et domaines terrestres. C’est la seule manière de pouvoir distinguer si la connexion avec Dieu éloigne un homme de ce monde ou si elle est perçue comme étant un élément étrange et troublant dans les domaines terrestres, ou non.

Comme il déjà été expliqué plus haut, Gibellini fait la distinction entre une désacralisation radicale, qui construit le monde sans le sacré, et une désacralisation relative, qui limite l’influence de la compréhension religieuse dans le monde profane. D’après Gibellini, cette dernière forme de sécularisation signifie seulement que chaque partie de la société, y compris l’Église, cherche et trouve sa propre place.

Cependant, le sécularisme absolu veut une autonomie absolue du monde et nie la nécessité du salut et de la rédemption, ainsi que la réalité du péché. L’homme ignore la vérité selon laquelle, en tant que créature de Dieu, il dépend de la volonté de Dieu. Cela équivaut à une affirmation de soi utopique, car le monde sans Dieu est une chimère et une illusion. Ce monde ne peut pas être humain. Il s’agit d’une autre forme d’incroyance et d’une fierté contredisant la nature humaine, qui nie l’image de l’enfant de Dieu en l’homme.31 Gogarten parle d’un individualisme axé sur luimême.32

Pour Vattimo, l’image de Dieu a été dévoilée en raison de la sécularisation, qui n’est comprise que comme une « aide dans les moments de détresse » ; on entend par là un Dieu qui répond à ce que l’homme demande, comme une machine. Mais un tel Dieu est plutôt objet de superstition instrumentalisée comme un Dieu vraiment vivant. Vattimo dit plus loin que l’homme avance à travers l’histoire comme si Dieu n’existait pas, mais qu’en même temps il se comporte comme s’il servait Dieu. Burda ajoute que Bonhoeffer et Vattimo interprètent tous deux tellement la mort de Dieu comme une aide d’urgence qui ne devrait être disponible que lorsque l’homme est complètement à bout ou lorsqu’il ne comprend pas quelque chose.33

Le sens de la sécularisation en tant que dimension kénotique du christianisme est en opposition directe à un tel vestige d’une image de Dieu. Vattimo explique cela comme un exemple de la doctrine classique de la théologie morale : On croyait être en mesure de réaliser la justice sur Terre ; maintenant, comme on voit que ce n’est pas possible, l’espoir se tourne à nouveau vers Dieu. L’homme est effrayé par le génie génétique, l’euthanasie, l’écologie, etc.34 Néanmoins, si on ne reconnaît Dieu qu’en cas de perte de confiance dans le progrès moderne ou lorsque surviennent les difficultés, les préjugés de notre culture à l’encontre de la religion se confirment, à savoir que la transcendance est comprise par opposition à la rationalité. La religion est placée à proximité de la religion naturelle atavique, qui voit Dieu dans les terribles forces de la nature pleine de superstition et de magie.35 Mais le monde réel serait anéanti avec la démythologisation. Il se transformerait en fable, ne constituerait donc plus un monde objectif, mais ce à quoi l’homme s’engage : « la volonté de puissance », comme exprimé par Nietzsche dans son « Crépuscule de Dieu ».36

Vattimo voit la solution dans le fait d’être un chrétien kénotique. Ici Dieu est au milieu, qui a renoncé volontairement à sa toute-puissance, qui abandonne sa puissance surhumaine transcendantale et devient un homme, un frère et un ami de chaque homme. Le résultat est un christianisme profondément humain, amical, tendre et si positivement faible.37 Vattimo voit les liens entre le catholicisme, la déclaration de la mort de Dieu par Nietzsche et le nihilisme de Heidegger dans l’incarnation de Dieu : c ́est exactement la kénose, dans laquelle la Rédemption se réalise.38

La théorie de la sécularisation de Vattimo veut dire qu’une relecture du christianisme nécessitait un nouveau développement de la doctrine chrétienne de l’Incarnation.39 En outre, l’affaiblissement du concept de la nature (humaine), que l’on désigne sous le terme de « sacrum », signifie que l’on surmonte les vestiges d’une religion fataliste (ancienne) et mythologique (dominante, composée de pouvoir cruel et de violence).40 Vattimo voit la sécularisation comme un moment positif de l’enseignement de Jésus et une réalité intérieure du christianisme. Jésus abandonné sur la croix est l’homme moderne abandonné, qui ressent et subit le caractère lointain et l’absence de Dieu.41 Ici le seul élément critique régulateur est l’amour. Jusqu’à quel point la sécularisation est une réalité religieuse authentique, on le voit à la mesure dans laquelle l’amour, l’amitié, la tolérance, l’honneur et le respect de l’altérité, de la pluralité et de la démocratie grandissent.42

Le principe critique de l’amour permet de combler le fossé entre la modernité et l’évangélisation chrétienne. Ce principe en la personne de Jésus Christ met à nu les masques des nouveaux mythes. Christ dévoile dans le démasquage « le vrai sens de l’histoire du Salut ».43 A savoir que notre foi aurait constamment porté des masques. Par conséquent, cette foi doit toujours être à nouveau radicalement purifiée sans pour autant devenir le refus de la modernité. L’homme croyant ne peut rien croire autrement que par voie de dialogue. Le principe critique de l’amour est donc en opposition directe à toute forme d’intégrisme et de dogmatisme. En effet, un tel croyant ne croit pas à un Dieu autoritaire, mais à un Dieu-partenaire dialoguant, fraternel et amical. C’est pourquoi, il cherche le Royaume de Dieu dans l’humilité et il le construit, il prend part à l’histoire du Salut et à l’évangélisation.44 À partir de ce dialogue, le christianisme post-moderne développe ensuite son éthique de dialogue et de la solidarité. Faire confiance à sa propre foi signifie avoir l’espoir de la foi authentique. Ainsi Vattimo cherche celui qui est complètement différent.45 Alors, pour conclure, Burda demande comment cette recherche de voir qualifie pour voir si en définitive, au lieu d’être fort dans l’humilité et l’amour, on n’est pas soumis à la détresse et au désespoir ou au spiritualisme et à une religion vague, non précisée. C’est possible, bien sûr, parce que l’être humain tombe toujours dans la tentation de vouloir ne pas communiquer et ne pas penser. Mais comme nous l’avons développé plus haut : Cela signifierait alors croire au veau d’or, à l’hypothèse d’avoir une « ligne directe » avec Dieu, ce qui, en même temps, donnerait une image complètement fausse de la réalité du monde.

Résumons encore une fois avec Günthör les raisons qui parlent de l’importance de la sécularisation:46

• il y a une mondanité justifiable, une autonomie et indépendance des domaines profanes et de l’homme qui fonctionne en eux ;
• la caractéristique des domaines profanes et de l’homme qui fonctionne en eux n’est pas seulement leur mondanité et leur autonomie, mais le fait qu’ils sont réellement alignés sur Dieu ;
• l’alignement de la réalité de ce monde et de l’homme sur Dieu ne signifie en aucune manière une diminution de la mondanité légitime ;
• une désacralisation totale en raison du péché détruit la mondanité véritable et le sens des choses terrestres ;
• la Rédemption exercée par le Christ restitue au monde sa mondanité légitime ;
• en tant que version actualisée de la Rédemption (sacramentum mundi), l’Église doit se livrer à la sacralisation et à la sécularisation véritables du monde ;
• les chrétiens individuels doivent agir adéquatement dans le monde, avec respect en ce qui concerne l’autonomie légitime de la réalité terrestre et en même temps dans l’esprit de l’Évangile et utiliser le principe essentiel de l’amour.

 

3. La sécularisation et le lien avec la vérité appelée «Reverentia»

Enfin, je voudrais tenter de prendre position en décrivant une vertu qui est particulièrement importante pour le monde d’aujourd’hui. Skoblík a signalé que le service réel au monde, c’est-à-dire une mondanité bien comprise, requiert la connexion avec Dieu. La Reverentia, c’est-à-dire la crainte, l’honneur, l’émotion devant le mystère de Dieu, est la contrepartie de la confiance insouciante envers Dieu et une acceptation respectueuse de l’auto-contemplation de Dieu. Dans cette expression, il se cache des émotions allant de l’admiration à l’étonnement, de la vénération à l’adoration, de la gêne à la peur (crainte).47

Quand l’homme agit avec Reverentia, il exprime dès lors sa prise de conscience du fait qu’il est intégré dans un ordre qui exige son étonnement et son silence. La Reverentia est une authentique expression de la véritable piété, c’est l’expression de la proximité expérimentée et en même temps de la distance. Dans le christianisme, c’est le fait d’être bouleversé par le mystère de Dieu, qui est personnel et absolument exceptionnel. Il s’agit d’un phénomène non seulement psychologique, mais aussi éthique. Il se concrétise dans l’action et se consolide dans le domaine de l’éthique par des vertus, en particulier celle de la sincérité de la relation de l’homme à Dieu. Ainsi la Reverentia se reflète dans chaque action responsable de l’homme. On opte pour l’humanisation du monde compte tenu des possibilités humaines, de la diffusion pour servir l’amélioration monde, approchant le modèle de Jésus et finalement aussi l’intention de Dieu. Par le désir d’intimité avec Dieu et la conscience de son pdfinaccessibilité, la Reverentia débouche sur la vertu de la justice qui y est associée, parce qu’elle donne à chacun ce qui lui revient: au reconnaissable la reconnaissance et au non-reconnaissable le respect discipliné.48

Par cette étude, nous avons essayé de montrer que la sécularisation est bonne, mais qu’en même temps le danger du sécularisme existe à l’heure actuelle. Comment, dans la doctrine de la vertu, il est aussi de mise d’éviter les deux extrêmes. Ce n’est que par une recherche ardue de la vérité et par des efforts pour arriver à un véritable dialogue que l’on trouvera le juste milieu. La sécularisation bien comprise se dirige vers la raison de la foi dans le vrai Dieu, elle suit le principe de l’amour et exerce la vertu de Reverentia. De cette manière l’homme peut avoir une véritable relation au monde.

 

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NOTES:

1 MESSI METOGO, É. (1997), 52.
2 KAĽATA, D. (1992), 390.
3 PESCHKE, K.-H. (1999), 130.
4 COX, H. (1965), 19ème
5 KAĽATA, D. (1992), 390.
6 SZANISZLÓ, I.-M. (2007), 27-32.
7 PESCHKE K.-H. (1999), 48-49.
8 KAĽATA D. (1992), 392-393.
9 BARTH K. (1999), 26.
10 GIBELLINI, R. (1999), 136.
11 RAHNER, K. / VORGRIMLER, H. (1996), 299.
12 BENEŠ, A. J. (1997), 26.
13 FAZIO M. (2013).

14 FAZIO, M. (2007).
15 BURDA, P. (2008), 54-55.
16 VATTIMO, G. (1996), 9-10.
17 VATTIMO, G. (1996), 11; Burda, P. (2008), 54.
18 VATTIMO, G. (1996).
19 DUKA, D. (2010).
20 GOGARTEN, F. (1965), 15.
21 COX, H. (1965), 23.
22 GOGARTEN, F. (1972), 20.
23 KOŠČ, S. (2012).
24 GIBELLINI, R. (1999), 125, ou 132.
25 BENOÎT XVI. (2012).
26 RHONHEIMER, M. (2010).
27 GÜNTHÖR, A. (1990), 41–59.
28 GIBELLINI, R. (1999), 113.
29 MACQUARRIE, J. (1967), 50.
30 GÜNTHÖR, A. (1990), 42.
31 PESCHKE, K.-H. (1999), 49.
32 GIBELLINI, R. (1999), 118.
33 BURDA, P. (2008), 55.
34 VATTIMO, G. (1996), 13.
35 VATTIMO, G. (1996), 14.
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37 VATTIMO, G. (1996), 14.
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48 SKOBLÍK, J. (1997), 144.
 

 

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